Newsletter n° 6 – PIAlumni | Article co-rédigé avec Vincent RODRIGUEZ
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Présentation
Chacune de nos newsletters sera composée de plusieurs articles :
- Un article présentant les actualités de l’association, envoyé uniquement à nos adhérents,
- Un ou deux articles d’actualité ou de focus juridique rédigés par nos contributeurs, anciens étudiants du Master,
- Un article “Résumé de mémoire” mettant en avant le mémoire d’un étudiant de la promotion sortante.
Article juridique
Les musées et les marques par Vanessa Pinto Hania et Vincent Rodriguez
Les musées regroupent une grande diversité de biens protégés par le droit d’auteur qui peuvent attirer la convoitise des marques. Celles-ci l’ont bien compris, car elles sont de plus en plus nombreuses à remettre au goût du jour des oeuvres qui, traditionnellement, ne sortent des murs des musées.
En effet, ces biens, qu’il s’agisse de tableaux, de dessins, de gravures, de sculptures, d’artefacts, de photographies, de manuscrits… peuvent aisément faire l’objet d’une reproduction sur des objets vendus par des marques (vêtements, bijoux, boîtes, sacs, chaussures, meubles, extincteurs, linge de maison, articles de décoration, vaisselle…) et d’une représentation.
Néanmoins, cette collaboration lucrative, tant pour les musées que pour les marques, ne pourra aboutir qu’avec le consentement de l’auteur ou de ses héritiers, leurs droits patrimoniaux (I) et moraux (II) constituant des freins à l’exploitation des oeuvres.
I) Les droits patrimoniaux
L’auteur jouit du privilège exclusif d’exploiter son oeuvre. Or, ces droits patrimoniaux, qu’il s’agisse du droit de reproduction ou du droit de représentation, peuvent constituer un obstacle aux projets envisagés entre les musées et les marques. En effet, seul l’auteur (ou ses ayants droits) peut autoriser ou interdire la reproduction ou la représentation de son oeuvre.
La reproduction « peut s’effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage, ou tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique ». [1]
Quant à la représentation, elle consiste en « la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque ». [2]
Dès lors, la reproduction d’un tableau dans un livre, sur un tee-shirt ou un sac, de l’impression d’un dessin sur un extincteur, du tirage d’une photographie sur une trousse, ou encore de la représentation d’une sculpture dans un clip publicitaire ou musical, devront être autorisés par l’auteur ou ses ayants droits, que l’oeuvre soit reproduite de manière intégrale ou partielle. [3]
Les musées et les marques pourront s’affranchir de cette autorisation en cas de pastiches, parodies et caricatures de l’oeuvre [4], sous réserve bien entendu, qu’ « un juste équilibre entre les intérêts et les droits des auteurs (…) et la liberté d’expression de celui qui se prévaut de cette exception » [5] soit respecté.
II) Le droit moral
Les problématiques patrimoniales ne sont cependant pas les seules que le musée devra prendre en compte lorsqu’il souhaitera faire fructifier son image et les oeuvres qu’il abrite en collaborant avec des marques.
Ces conflits de droits sont d’autant plus délicats à appréhender que certaines exploitations commerciales sont susceptibles de heurter le titulaire du droit moral : De Vinci aurait-il souhaité que Mona Lisa arbore des sacs Louis Vuitton [6] ou que sa Belle Ferronnière orne des boîtes de macarons Ladurée [7]? Raphaël aurait-il accepté que sa Belle Jardinière illustre des tee-shirts Uniqlo [8]? A priori, il est permis d’en douter. Pourtant, ces marques ont fait le pari d’associer histoire de l’art et modernité.
Ce n’est pas sans poser de difficultés, puisque le droit moral afférent aux oeuvres risquera de parasiter l’opération commerciale envisagée : le musée devra impérativement composer avec les droits à la paternité [9], au respect de l’intégrité de l’oeuvre [10], à la divulgation et de retrait [11], que l’auteur et ses ayants droit pourront lui opposer [12].
Perpétuel, inaliénable et imprescriptible, le droit moral ne peut pas être cédé entre vifs par l’auteur : il n’est transmissible qu’au moment du décès de l’auteur, soit à ses héritiers, soit à un exécuteur testamentaire si le de cujus a pris des dispositions testamentaires en ce sens. Témoin de l’importance que la loi française attache au droit moral, celui-ci survit même lorsque la succession est vacante : c’est alors au tribunal judiciaire que revient le soin de préserver la mémoire de l’auteur. [13] Le musée devra prendre garde à ce que la marque avec laquelle il collabore :
- mentionne l’auteur de l’oeuvre, bien que cette précision puisse paraître superfétatoire pour les artistes les plus connus ;
- ne porte pas atteinte à l’oeuvre. Beyoncé et Jay-Z devaient-ils prendre garde à ne pas offenser les oeuvres apparaissant dans leur clip tourné au Louvre… [14] ;
- ne diffuse pas une oeuvre inédite d’un artiste, lui seul étant autorisé à divulguer pour la première fois une création qu’il avait conservée secrète jusqu’alors ;
- s’acclimate de l’exercice éventuel par l’auteur de son droit de retrait, cette difficulté n’existant que si l’auteur est encore vivant, ses ayants droits n’étant jamais investi de cette prérogative.
En définitive, si les musées trouvent un intérêt culturel et pécuniaire évident à collaborer avec des marques pour promouvoir leur image, c’est avec dextérité et précaution qu’ils devront agir, sous peine de se voir sanctionnés par les auteurs ou leurs héritiers.
[1] Art. L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle.
[2] Art. L. 122-2 du Code de propriété intellectuelle.
[3] Art. L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle.
[4] Art. L. 122-5 4° du Code de propriété intellectuelle.
[5] N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, LGDJ, 6e éd., 2020, p. 156.
[6] Louis Vuitton x Jeff Koons, Collection « Masters », 2017.
[7] Ladurée, 2019.
[8] Uniqlo, Collection « Musée du Louvre », Printemps/Eté 2021.
[9] Art. L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[10] Art. L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.
[11] Art. L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle.
[12] Art. L. 121-4 du Code de la propriété intellectuelle.
[13] Art. L. 121-3 du Code de la propriété intellectuelle.
[14] The Carters (Beyoncé et Jay-Z), Apeshit, 2018, Parkwood Entertainment LLC, sous licence exclusive de Sony Music Entertainment