La Pookie a vaincu la poucave

Newsletter n° 4 – PIAlumni  | Commentaire TJ Paris 15 janvier 

Hyo Jino reprochait à Aya Nakamura d’avoir repris dans son clip Pookie, plusieurs tenues qu’il lui avait proposées dans un moodboard (planche de tendances) et à l’occasion d’un shooting.
Une mise en demeure de payer la somme de 50.000 euros, en réparation de son préjudice, avait été adressée à la chanteuse, via la société de production du clip WARNER MUSIC FRANCE, qui, l’on s’en doute, n’accéda pas à sa demande. Face à ce refus, le styliste n’eût d’autre choix que d’assigner Aya Nakamura devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Ainsi que le souligne à juste titre le Tribunal, le styliste a, ab initio, choisi de fonder sa demande sur le parasitisme et non sur la contrefaçon. Sans doute avait-il déjà constaté que les tenues qu’il avait proposées, et celles qui avaient été in fine utilisées, présentaient des différences de nature à écarter toute action en contrefaçon.
Le Tribunal revient successivement sur les conditions propres à caractériser l’agissement parasitaire (I) et sur les conséquences sur J’image et la publicité de la personne accusée à tort de s’être livrée à un tel comportement (II).

I} La nécessaire appropriation illicite d’une valeur économique

Pour rejeter la demande formée par le styliste, le Tribunal judiciaire de Paris rappelle, au visa de l’article 1240 du Code civil, que le parasitisme est constitué par des « agissements visant à s’approprier de façon injustifiée et sans contrepartie une valeur économique résultant d’un savoir-faire, de travaux ou d’investissements ». Il s’agit là d’une définition classique du parasitisme, depuis longtemps retenue par la jurisprudence en des termes similaires.[1]
Le comportement parasitaire suppose donc :

• D’une part, que la victime ait fourni une valeur économique ou des investissements particuliers au profit d’un tiers;
• D’autre part, que ce tiers se soit approprié cette valeur ou ces investissements, pour son propre compte, sans autorisation et sans rémunération. Est ainsi sanctionné en jurisprudence le profit effectué à partir du travail d’autrui [2]. ou l’absence d’efforts de l’auteur du parasitisme qui n’a ni investi, ni pris de risques.[3]

Le styliste avançait plusieurs éléments pour justifier de la reprise des tenues proposées à Aya Nakamura. Le styliste avançait plusieurs éléments pour justifier de la reprise des tenues proposées à Aya Nakamura.
D’abord, au titre des investissements, il considérait que les tenues du moodboard transmis à l’artiste, ainsi que celles de la séance photo, avaient fait l’objet d’un travail de sélection important, « parmi les milliers de références possibles en termes d’habillement ».

Il affirmait par ailleurs que les tenues, in fine retenues, traduisaient, selon lui, « un changement de style radical [._] se démarquant de celles qu'[Aya Nakamura] portait habituellement lors de ses prestations musicales -pantalons en jean, tee-shirt près du corps, robes moulantes courtes».
Ensuite, au titre de la reprise de ces investissements, Ryo Jino tentait de mettre en avant, par un jeu de comparaison entre les tenues proposées et les tenues portées par la chanteuse dans son clip, l’existence de ressemblances qui témoignait de l’appropriation frauduleuse du travail qu’il avait fourni.
Le Tribunal ne va pas suivre l’argumentaire du styliste et va considérer, en appréciant in concreto les caractéristiques des tenues, que s’il existe un « univers commun » entre elles, elles présentent des différences avérées qui permettent de balayer les prétendus actes parasitaires auxquels se serait livrée Aya Nakamura. Celle-ci est donc libre de s’inspirer du style d’autrui, pour son propre compte, dès lors qu’elle le retravaille, le remodèle, l’imprègne de sa personnalité et de ses propres efforts.
Et c’était précisément le cas ici puisque le Tribunal va minutieusement relever que les tenues utilisées dans le clip sont substantiellement différentes de celles qui avaient été proposées par le demandeur.
En outre, les juges du fond estiment que le styliste ne justifie pas des circonstances financières qui avaient entouré la transmission du moodboard et la réalisation de la séance photo, alors précisément que le paiement d’une somme d’argent, constitutive d’une contrepartie, aurait affaibli d’autant les allégations de parasitisme.
Finalement, le Tribunal judiciaire de Paris, régulièrement confronté à ces problématiques, fait une application classique des règles régissant les comportements parasitaires et requiert du demandeur, qui se prétend victime de tels actes, qu’il apporte non seulement la preuve de ses investissements, mais également celle de la matérialité du parasitisme allégué.
Et s’il n’est pas certain de pouvoir le prouver, mieux vaut qu’il s’abstienne d’accuser publiquement le tiers d’avoir copié son travaiL

Il) Sur L’atteinte à L’image et à La réputation

La chanteuse a obtenu la réparation du seul préjudice résultant de l’atteinte à son image et à sa réputation. En effet, le Tribunal a rejeté le surplus de ses demandes reconventionnelles, au motif, d’une part, qu’il n’a pas été justifié de préjudices distincts de celui sanctionné, résultant de l’atteinte à l’image et à la réputation, et que le styliste a pu« légitimement se méprendre sur la détermination des faits susceptibles selon lui d’engager la responsabilité civile de la chanteuse » ; d’autre part, que s’agissant de la demande reconventionnelle fondée sur le parasitisme, le comportement du styliste sanctionné sur le fondement de l’article 1240 du Code civil exclut qu’ « il ait entendu tirer un quelconque profit en lien avec la notoriété » de la chanteuse, par l’engagement de la procédure.
Par ailleurs, aucune mesure de publication n’a été ordonnée dès lors que le Tribunal a considéré que « les circonstances de la présente espèce » ne le justifiaient pas.
C’est donc sur le fondement de l’article 1240 du Code civil que le Tribunal a condamné Ryo Jino à payer à Aya Nakamura la somme de 5.000 euros en indemnisation de son préjudice moral, au motif que la publicité de cette affaire, « sans justification » par le styliste, a caractérisé une intention manifeste de nuire, et a nécessairement causé un préjudice à la chanteuse en termes d’image et de réputation.
Cette publicité, telle qu’elle a été rappelée par le Tribunal, a été la suivante :

• Le 10 avril 2019, le styliste a publié sur son compte Instagram un message aux termes duquel il a accusé la chanteuse d’avoir « volé le moodboard C…) pour le filer à [son] équipe », en vue de le ré-exploiter sur son « dernier clip POORIE » et ainsi d’avoir « volé sa créativité » ;
• Ce message a été republié par d’autres instagrameurs
• Des articles de presse écrite ont évoqué cette affaire, notamment dans le quotidien « 20 minutes

», publié le 11 avril 2019, qui a mentionné que la défenderesse était accusée par un styliste d’avoir volé ses créations dans son dernier clip. Également le site Internet de la chaîne « BFM TV qui a repris les mêmes termes le même jour dans sa rubrique « people ». Ou encore le quotidien « Le Figaro » du 13 avril 2019 qui a fait état des accusations de plagiat pour le clip « Pookie » tourné à Fontainebleau ;

• Le 30 avril 2019, une lettre de mise en demeure a été adressée par Ryo Jino au directeur de la société Warner Music France en sa qualité de maison de production de la défenderesse ;
• Publicité également conséquente entre le 19 juin 2019 et le 23 juin 2019, résultant des articles de presse publiés dans les journaux !’Express, Parisien, 24 matins, Figaro, Paris Match, et Pure People, qui mentionnaient tous l’assignation délivrée à l’encontre de la chanteuse, à la requête d’un styliste pour parasitisme, copie de modèles de vêtements ou plagiat vestimentaire.

L’article 1240 du Code civil pose le principe de la responsabilité civile du fait personnel selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Autrement dit, lorsque la faute, intentionnelle ou non, d’une personne cause un préjudice à un tiers, le responsable doit indemniser la victime.
Mais qu’est-ce que la faute ? L’attitude d’une personne qui, par négligence, imprudence ou malveillance, manque à son devoir de ne causer aucun dommage à autrui. [ 4]
En l’espèce, le Tribunal a jugé que la publicité de cette affaire, « sans justification » par le styliste, a caractérisé une intention manifeste de nuire et a nécessairement causé un préjudice à la chanteuse en termes d’image et de réputation.
La publicité sans justification et l’intention de nuire ont été constitutives de la faute commise par le styliste, qui a été la cause directe du dommage moral qui en a résulté pour la chanteuse, à savoir l’atteinte à son image et à sa réputation.
Pour rappel, pour ce préjudice subi, le Tribunal a alloué à Aya Nakamura la somme de 5.000 euros. Pourtant, la chanteuse avait estimé le montant de ce préjudice à la somme de 50.000 euros. Une question se pose : comment évaluer le préjudice d’image et de réputation ? Pour une entreprise plusieurs méthodes de détermination du préjudice d’image sont

envisageables tenir compte des investissements humains et financiers réalisés par l’entreprise pour créer et renforcer son image de marque, s’appuyer sur les références de marché, utiliser une méthode basée sur la rentabilité prévisionnelle des marques. Ces méthodes ne sont pas transposables à une personne physique, même si, s’agissant d’une personne physique célèbre telle que la phénoménale Aya Nakamura qui bénéficie d’une notoriété nationale et internationale, elles pourraient être applicables.
Pour cela, Aya Nakamura devrait être une entreprise, ou à tout le moins une marque, ce qui n’est pas le cas.
La réponse à la question de l’évaluation du préjudice d’image et de réputation subi par une personne physique est dès lors assez simple.
Pour !’Avocat qui doit la chiffrer, il s’agit d’une somme généralement déterminée de manière forfaitaire, sans pour autant être fantaisiste, qui doit s’appuyer sur des éléments tangibles. En l’espèce, nous n’avons malheureusement pas eu accès aux pièces du dossier …
Pour le Juge qui la fixe, cela relève de son pouvoir souverain d’appréciation.
En l’espèce, et contrairement aux souhaits du Professeur Maurice NUSSENBAUM[6], aucune analyse de la méthodologie employée pour déterminer le montant du préjudice généré par l’atteinte à l’image et à la réputation n’a été détaillée par le juge dans sa décision.
Ce n’est donc pas le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris en date du 15 janvier 2021 qui viendra apporter sa pierre à l’édifice d’une « véritable jurisprudence de l’évaluation » [7], et on ne peut que le regretter.

[1] V. par exemple Cass. Corn.. 10 févr. 2015, n· 13-24.399 : « Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis ».
[2] CA Paris, 20 mars 2014, n· 12/02256.
[3] CA Paris, 8 sept. 2004, n· 04/09673.

[4] Fiches d’orientation Dalloz, Responsabilité civile du fait personnel – Janvier 2021
[5] M. THA Y A et P. MASSOT, « Mieux réparer les préjudices d’image et de réputation des entreprises » : article publié sur le site Internet du Cabinet ARENAIRE, rubrique News, en date du 23 avril 2020
[6] M. NUSSENBAUM, « Pour une évaluation détaillée de l’évaluation des dommages économiques dans les décisions de justice», Lextenso, Dossier Entreprise, article publié le 4 septembre 2017
[7] M. NUSSENBA UM, op. cit.